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C’est un hurlement de bête sauvage, peut-être tout simplement le cri d’un de ces chatpards dont vous parliez tout à l’heure. Comptiez-vous traverser à cette heure un pareil endroit sans être averti en rien de la présence des hôtes que vous troublez ? Je vous proteste, vieillard, qu’ils sont plus effrayés encore que vous.

Spiagudry, en voyant le calme de son jeune compagnon, se rassura un peu.

— Allons, il pourrait bien se faire, seigneur, que vous eussiez encore raison. Mais ce cri de bête ressemble horriblement à une voix… Vous avez été fâcheusement inspiré, souffrez que je vous le dise, seigneur, de vouloir monter à ce château de Vermund. Je crains qu’il ne nous arrive malheur sur le Cou-de-Vautour.

— Ne craignez rien tant que vous serez avec moi, répondit Ordener.

— Oh ! rien ne vous alarme ; mais, seigneur, il n’y a que le bienheureux saint Paul qui puisse prendre des vipères sans se blesser. — Vous n’avez seulement pas remarqué, quand nous sommes entrés dans ce maudit sentier, qu’il paraissait frayé depuis peu, et que les herbes foulées n’avaient même pas eu le temps de se relever depuis qu’on y avait passé.

— J’avoue que tout cela me frappe peu, et que le calme de mon esprit ne dépend pas du plus ou moins de courbure d’un brin d’herbe. Voici que nous allons quitter la bruyère ; nous n’entendrons plus de pas ni de cris de bêtes ; je ne vous dirai donc plus, mon brave guide, de rassembler votre courage, mais de ramasser vos forces, car le sentier, taillé dans le roc, sera sans doute plus difficile que celui-ci.

— Ce n’est pas, seigneur, qu’il soit plus escarpé, mais le savant voyageur Suckson conte qu’il est souvent embarrassé d’éclats de roches ou de lourdes pierres qu’on ne peut soulever et qu’il n’est pas aisé de franchir. Il y a entre autres, un peu au delà de la poterne de Malaër, dont nous approchons, un énorme bloc triangulaire de granit que j’ai toujours vivement désiré voir. Schœnning affirme y avoir retrouvé les trois caractères runiques primitifs.

Il y avait déjà quelque temps que les voyageurs gravissaient la roche nue ; ils atteignirent une petite tour écroulée, à travers laquelle il fallait passer, et que Spiagudry fit remarquer à Ordener.

— C’est la poterne de Malaër, seigneur. Ce chemin creusé à vif présente plusieurs autres constructions curieuses, qui montrent quelles étaient les anciennes fortifications de nos manoirs norvégiens. Cette poterne, qui était toujours gardée par quatre hommes d’armes, était le premier ouvrage avancé du fort de Vermund. À propos de porte ou poterne, le moine Urensius fait une remarque singulière ; le mot janua, qui vient de Janus, dont le temple avait des portes si célèbres, n’a-t-il pas engendré le mot janissaire,