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sible, si nous avons le bonheur de trouver notre homme, votre grâce a-t-elle oublié qu’un faux Han d’Islande m’attend dans deux jours à l’heure fixée, au lieu du rendez-vous assigné aux trois chefs, à l’Étoile-Bleue, endroit d’ailleurs assez voisin de la ruine d’Arbar ?

— Vous avez raison, toujours raison, mon cher Musdœmon, dit le noble comte ; et ils retombèrent tous deux dans leur cercle particulier de réflexions.

Musdœmon, dont l’intérêt était de tenir le maître en bonne humeur, fit, pour le distraire, une question au guide.

— Brave homme, quelle est cette espèce de croix de pierre dégradée qui s’élève là-haut, derrière ces jeunes chênes ?

Le guide, homme au regard fixe, à la mine stupide, tourna la tête et la secoua à plusieurs reprises en disant :

— Oh ! seigneur maître, c’est la plus vieille potence de Norvège ; le saint roi Olaüs la fit construire pour un juge qui avait fait un pacte avec un brigand.

Musdœmon aperçut sur le visage de son patron une impression toute contraire à celle qu’il espérait des paroles simples du guide.

— Ce fut, poursuivit celui-ci, une histoire bien singulière, la bonne mère Osie me l’a contée : le brigand fut chargé de pendre le juge.

Le pauvre guide ne s’apercevait pas, dans sa naïveté, que l’aventure dont il voulait égayer ses voyageurs était presque un outrage pour eux. Musdœmon l’arrêta.

— Assez, assez, lui dit-il, nous connaissons cette histoire.

— L’insolent ! murmura le comte, il connaît cette histoire ! Ah ! Musdœmon, tu me paieras cher tes impudences.

— Sa grâce ne parle-t-elle pas ? dit Musdœmon d’un air obséquieux.

— Je pensais aux moyens de vous faire enfin obtenir l’ordre de Dannebrog. Le mariage de ma fille Ulrique et du baron Ordener sera une bonne occasion.

Musdœmon se confondit en protestations et en remerciements.

— À propos, reprit sa grâce, parlons de nos affaires. Croyez-vous que l’ordre de rappel momentané que nous lui destinons soit parvenu au mecklembourgeois ?

Le lecteur se rappelle peut-être que le comte avait l’habitude de désigner sous ce nom le général Levin de Knud, qui était en effet natif du Mecklembourg.

— Parlons de nos affaires ! se dit intérieurement Musdœmon choqué ; il paraît que mes affaires ne sont pas nos affaires. — Seigneur comte, répondit-il à haute voix, je pense que le messager du vice-roi doit être en ce