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mander quelque nourriture à travers les barreaux de sa prison. Quelquefois elle laissait fuir sa pensée sur le nuage qu’un vent rapide enfonçait dans le nord du ciel ; puis tout à coup elle détournait sa tête et voilait ses yeux, comme si elle eût craint de voir apparaître le gigantesque brigand et commencer le combat inégal sur l’une des montagnes lointaines dont le sommet bleuâtre rampait à l’horizon ainsi qu’une nuée immobile.

Oh ! qu’il est cruel d’aimer alors qu’on est séparé de l’être qu’on aime ! Bien peu de cœurs ont connu cette douleur dans toute son étendue, parce que bien peu de cœurs ont connu l’amour dans toute sa profondeur. Alors, étranger en quelque sorte à sa propre existence, on se crée pour soi-même une solitude morne, un vide immense, et, pour l’être absent, je ne sais quel monde effrayant de périls, de monstres et de déceptions ; les diverses facultés qui composaient notre nature se changent et se perdent en un désir infini de l’être qui nous manque ; tout ce qui nous environne est hors de notre vie. Cependant on respire, on marche, on agit, mais sans la pensée. Comme une planète égarée qui aurait perdu son soleil, le corps se meut au hasard ; l’âme est ailleurs.