Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/143

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La veuve poussa un cri d’horreur. C’était un crâne humain. Elle fit un geste d’épouvante, et ne put proférer une parole.

— Non, non ! cria tout à coup l’homme avec une voix terrible, ne détourne pas les yeux, femme ; regarde. Tu demandes à revoir ton fils ? Regarde, te dis-je ! car voilà tout ce qui en reste.

Et, aux lueurs de la lampe rougeâtre, il présentait aux lèvres pâles de la mère le crâne nu et desséché de son fils.

Trop de malheurs avaient passé sur cette âme pour qu’un malheur de plus la brisât. Elle éleva sur le farouche ermite un regard fixe et stupide.

— Oh ! la mort ! dit-elle faiblement ; la mort ! laissez-moi mourir.

— Meurs si tu veux !… Mais souviens-toi, Lucy Pelnyrh, du bois de Thoctree ; souviens-toi du jour où le démon, en s’emparant de ton corps, a donné ton âme à l’enfer ! Je suis le démon, Lucy, et tu es mon épouse éternelle ! Maintenant, meurs, si tu veux.

C’était une croyance, dans ces contrées superstitieuses, que des esprits infernaux apparaissaient parfois parmi les hommes pour y vivre des vies de crime et de calamité. Entre autres fameux scélérats, Han d’Islande avait cette effrayante renommée. On croyait encore que la femme qui, par séduction ou par violence, était la proie d’un de ces démons à forme humaine, devenait irrévocablement par ce malheur sa compagne de damnation.

Les événements que l’ermite rappelait à la veuve parurent réveiller en elle ces idées.

— Hélas ! dit-elle douloureusement, je ne puis donc échapper à l’existence ! — Et qu’ai-je fait ? car tu le sais, mon bien-aimé Caroll, je suis innocente. Le bras d’une jeune fille n’a point la force du bras d’un démon.

Elle poursuivit ; ses regards étaient pleins de délire, et ses paroles incohérentes semblaient nées du tremblement convulsif de ses lèvres.

— Oui, Caroll, depuis ce jour je suis impure et innocente ; et le démon me demande si je me le rappelle, cet horrible jour ! — Mon Caroll, je ne t’ai point trompé ; tu es venu trop tard ; j’étais à lui avant d’être à toi, hélas ! — Hélas ! et je serai punie éternellement. Non, je ne vous rejoindrai pas, vous que je pleure. À quoi bon mourir ? J’irai avec ce monstre, dans un monde qui lui ressemble, dans le monde des réprouvés ! et qu’ai-je donc fait ? Mes malheurs dans la vie seront mes crimes dans l’éternité.

Le petit ermite appuyait sur elle un regard de triomphe et d’autorité.

— Ah ! s’écria-t-elle tout à coup en se tournant vers lui, ah ! dites-moi, ceci n’est-il pas quelque rêve affreux que votre présence m’apporte ? car, vous le savez, hélas ! depuis le jour de ma perte, toutes les fatales nuits où votre esprit m’a visitée ont été marquées pour moi par d’impures apparitions, d’effrayants songes et des visions épouvantables.