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L’humilité et l’onction du prêtre touchèrent vivement Ordener.

— Tout ce que je puis vous dire, mon père, c’est que nous visitons les montagnes du nord.

— C’est ce que je pensais, mon fils, et voilà pourquoi je viens à vous. Il y a dans ces montagnes des bandes de mineurs et de chasseurs, souvent redoutables aux voyageurs.

— Eh bien ?

— Eh bien ! je sais qu’il ne faut pas essayer de détourner de sa route un noble jeune homme qui va chercher un danger ; mais l’estime que j’ai conçue pour vous m’a inspiré un autre moyen de vous être utile. Le malheureux faux monnayeur auquel j’ai porté hier les dernières consolations de mon Dieu avait été mineur. Au moment de la mort, il m’a donné ce parchemin sur lequel son nom est écrit, disant que cette passe me préserverait de tout danger, si jamais je voyageais dans ces montagnes. Hélas ! à quoi cela pourrait-il servir à un pauvre prêtre qui vivra et mourra avec des prisonniers, et qui d’ailleurs, inter castra latronum, ne doit chercher de défense que dans la patience et la prière, seules armes de Dieu ! Si je n’ai pas refusé cette passe, c’est qu’il ne faut point affliger par un refus le cœur de celui qui, dans peu d’instants, n’aura plus rien à recevoir et à donner sur la terre. Le bon Dieu daignait m’inspirer, car aujourd’hui je puis vous apporter ce parchemin, afin qu’il vous accompagne dans les hasards de votre route, et que le don du mourant soit un bienfait pour le voyageur.

Ordener reçut avec attendrissement le présent du vieux prêtre.

— Seigneur aumônier, dit-il, Dieu veuille que votre désir soit exaucé ! Merci. Pourtant, ajouta-t-il, mettant la main sur son sabre, je portais déjà mon droit de passe à mon côté.

— Jeune homme, dit le prêtre, peut-être ce frêle parchemin vous protégera-t-il mieux que votre épée de fer. Le regard d’un pénitent est plus puissant que le glaive même de l’archange. Adieu. Mes prisonniers m’attendent. Veuillez prier quelquefois pour eux et pour moi.

— Saint prêtre, reprit Ordener en souriant, je vous ai dit que vos condamnés auraient leur grâce ; ils l’auront.

— Oh ! ne parlez pas avec cette assurance, mon fils. Ne tentez pas le Seigneur. Un homme ne sait pas ce qui se passe dans le cœur d’un autre homme, et vous ignorez encore ce que décidera le fils du vice-roi. Peut-être, hélas ! ne daignera-t-il jamais admettre devant lui un humble aumônier. Adieu, mon fils ; que votre voyage soit béni, et que parfois il sorte de votre belle âme un souvenir pour le pauvre prêtre et une prière pour les pauvres prisonniers.