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ne donne-t-il pas au brigand Robin Hood le pas sur le bourreau Phlipcrass ? — Vraiment, maître, si jamais je deviens puissant — ce que Dieu seul peut savoir — je supprime les bourreaux et je rétablis l’ancienne coutume et les vieux tarifs. Pour le meurtre d’un prince, on paiera, comme en 1150, quatorze cent quarante doubles écus royaux ; pour le meurtre d’un comte, quatorze cent quarante écus simples ; pour celui d’un baron, quatorze cent quarante bas écus ; le meurtre d’un simple noble sera taxé à quatorze cent quarante ascalins ; et celui d’un bourgeois…

— N’entends-je pas le pas d’un cheval qui vient à nous ? interrompit Ordener.

Ils tournèrent la tête, et, comme le jour avait paru pendant le long soliloque scientifique de Spiagudry, ils purent distinguer en effet, à cent pas en arrière, un homme vêtu de noir, agitant un bras vers eux, et pressant de l’autre un de ces petits chevaux d’un blanc sale que l’on rencontre souvent, domptés ou sauvages, dans les montagnes basses de la Norvège.

— De grâce, maître, dit le peureux concierge, pressons le pas, cet homme noir m’a tout l’air d’un archer.

— Comment, vieillard, nous sommes deux, et nous fuirions devant un seul homme !

— Hélas ! vingt éperviers fuient devant un hibou. Quelle gloire y a-t-il à attendre un officier de justice ?

— Et qui vous dit que c’en est un ? reprit Ordener, dont les yeux n’étaient pas troublés par la peur. Rassurez-vous, mon brave guide ; je reconnais ce voyageur. — Arrêtons-nous.

Il fallut céder. Un moment après, le cavalier les aborda ; et Spiagudry cessa de trembler en reconnaissant la figure grave et sereine de l’aumônier Athanase Munder.

Celui-ci les salua en souriant, et arrêta sa monture, en disant d’une voix que son essoufflement entrecoupait :

— Mes chers enfants, c’est pour vous que je reviens sur mes pas ; et le Seigneur ne permettra sans doute pas que mon absence, prolongée dans une intention de charité, soit préjudiciable à ceux auxquels ma présence est utile.

— Seigneur ministre, répondit Ordener, nous serions heureux de pouvoir vous servir en quelque chose.

— C’est moi, au contraire, noble jeune homme, qui veux vous servir. Daigneriez-vous me dire quel est le but de votre voyage ?

— Révérend aumônier, je ne puis.

— Je désire qu’en effet, mon fils, il y ait de votre part impuissance et non défiance. Car alors malheur à moi ! malheur à celui dont l’homme de bien se défie, même quand il ne l’a vu qu’une fois !