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— Oui, dit l’ermite.

— Eh bien, tout brigand revient au bourreau, n’est-il pas vrai ? Que fait cet infernal Spiagudry ? il demande qu’on mette à prix la tête de Han…

— Il demande qu’on mette à prix la tête de Han ? interrompit l’ermite.

— Il en a l’audace ; et cela uniquement pour que le corps lui revienne, et que je sois frustré de ma propriété.

— Voilà qui est infâme, maître Orugix ; oser vous disputer un bien qui vous appartient si évidemment !

Ces mots étaient accompagnés du sourire malicieux qui effrayait Spiagudry.

— Le tour est d’autant plus noir, ermite, qu’il me faudrait une exécution comme celle de Han pour me tirer de mon obscurité, et me faire la fortune que ne m’a pas faite celle de Schumacker.

— En vérité, maître Nychol ?

— Oui, frère ermite, le jour de l’arrestation de Han, venez me voir, et nous immolerons un pourceau gras à mon élévation future.

— Volontiers ; mais savez-vous si je serai libre ce jour-là ? D’ailleurs vous aviez tout à l’heure envoyé au diable l’ambition.

— Eh sans doute, père, quand je vois que, pour détruire mes espérances les mieux fondées, il suffit d’un Spiagudry et d’une requête de mise à prix.

— Ah ! reprit l’ermite d’une voix étrange, Spiagudry a demandé la mise à prix !

Cette voix était pour le pauvre homme comme le regard du crapaud pour l’oiseau.

— Seigneurs, dit-il, pourquoi juger témérairement ? Cela n’est pas sûr, peut-être est-ce un faux bruit…

— Un faux bruit ! s’écria Orugix, la chose n’est que trop certaine. La demande des syndics est en ce moment à Drontheim, appuyée de la signature du concierge du Spladgest. On n’attend que la décision de son excellence le général gouverneur.

Le bourreau était si bien instruit, que Spiagudry n’osa poursuivre sa justification ; il se contenta de maudire intérieurement, pour la centième fois, son jeune compagnon. Mais que devint-il lorsqu’il entendit l’ermite, qui depuis quelques moments paraissait méditer, s’écrier soudain d’un ton railleur :

— Maître Nychol, quel est donc le supplice des sacrilèges ?

Ces paroles firent sur Spiagudry le même effet que si on lui avait arraché son emplâtre et sa perruque. Il attendit avec anxiété la réponse d’Orugix, qui acheva d’abord de vider son verre.