Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XV.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

I

Les réalités sont de deux ordres.

Communément, on oppose le monde idéal au monde réel ; mais, philosophiquement, il faut parler un langage plus rigoureux. L’idée est aussi réelle que la chose.

On pourrait même presque dire que, la chose étant de sa nature essentiellement périssable et l’idée essentiellement durable, les plus grandes réalités, les plus complètes, les vraies, les seules peut-être, étant logiquement celles qui sont vivantes toujours et perpétuellement présentes, il n’y a de véritablement réel que l’idéal.

L’univers donc, le tout, apparaît à la fois à l’esprit et aux yeux composé de deux mondes, le monde matériel et le monde intellectuel. D’un côté l’étendue, de l’autre l’abstraction.

L’étendue a deux aspects : le temps et l’espace. Le temps ou la durée, c’est l’étendue supputable ; l’espace, c’est l’étendue visible. Les nombres sont dans le temps, les formes sont dans l’espace. La lumière éclaire l’espace, la pensée élucide le temps.

Tout ce qui n’est ni dans le temps ni dans l’espace, en d’autres termes, tout ce qui n’est pas dans l’étendue est dans l’abstraction. Le temps se perd à ses deux extrémités dans l’éternité dont il n’est que le chaînon touché par l’homme. L’espace plonge de toutes parts dans l’infini dont il n’est qu’un point auquel nous imposons nos propres bornes. C’est cette opération-là que nous appelons comprendre. L’éternité, c’est le temps infini. L’infini, c’est l’espace éternel.

Arrivé à la conception de ceci, on est dans la grande sphère, les limites s’évanouissent, les essences se confondent, l’abstraction devient étendue, l’étendue devient abstraction, les deux mondes se mêlent. Dieu, centre, diverge en tous sens et remplit tout.

Il se révèle par l’idée et se manifeste par la chose. L’une le fait sentir, l’autre le fait voir.

Le monde intellectuel est son émanation intime.

Le monde matériel est son rayonnement extérieur.