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Quel ténor aura-t-on cette année à Paris?
Est-ce de damas rose ou bien de satin mauve
Qu'il faut vêtir sa belle et tendre son alcôve?
Quand passe, éblouissante et faite pour aimer,
Une femme au. front pur et charmant, s'informer
Si cet ange est à vendre et combien on l'achète;
Prier chez Dupanloup et souper chez Vachette;
Croire et jouir hanter des membres du Sénat;
Attendre dos au feu, le sourire incarnat
De l'aurore, attablés à des brelans féroces,
Pendant que nos cochers dorment sur nos carrosses;
Dormir, bâiller, railler, ignorer, être ainsi,
C'est beau, je le répète; et je comprends aussi
Qu'on évite un aïeul comme on fuit un reproche,
Et qu'on soit élégant, et qu'on n'ait dans sa poche,
Tandis que d'autres vont pieds nus sur le pavé,
Que de l'or dans de l'eau de Cologne lavé.
Je ne suis point ingrat pour l'air que je respire
Jusqu'à n'y pas sentir le parfum de l'empire,
Et le Napoléon troisième a fait nos coeurs
Tels qu'ils sont, gracieux, point fanfarons, moqueurs;
Toujours les Sybaris ont bafoué les Romes;
C'est bien. Màis il n'en est pas moins vrai que ces hommes
D'autrefois, peu frottés des savons de Guerlain,
Entrèrent dans Moscou, dans Vienne et dans Berlin;
Qu'ils châtiaient les rois de leurs façons brutales,
Qù'ils étaient familiers avec les capitales;
Qu'ils se plaisaient parfois à d'étranges assauts,
Que leur cavalerie attaquait des vaisseaux,
Les prenait, et donnait aux flottes l'abordage;
Que chacun d'eux, vieillard, enfant, se sentait d'âge
Et d'humeur à servir la France, et qu'à Valmy,
A Jemmape, à Fleurus, ils chassaient l'ennemi
A coups de hache, à coups de sabre, à coups de lance;
Qu'on e'n voyait plus d'un sortir de l'ambulance,
Et, comme à l'Océan retourne l'alcyon,
Revenir au combat, sans faire attention