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Quoi! vous n'entendez pas, tandis que vous chantez,
Mes frères, le sanglot profond des. deux cités!
Quoi! vous ne voyez pas, foule aisément sereine,
L'Alsace en frissonnant regarder la Lorraine!
-O soeur, on nous oublie! on est content sans nous! -
Non! nous n'oublions pas! nous sommes à genoux
 
Devant votre supplice, ô villes! Quoi! nous croire
Affranchis, lorsqu'on met au bagne notre gloire,
Quand on coupe à la France un pari de son manteau,
Quand l'Alsace au carcan, la Lorraine au poteau,
Pleurent, tordent leurs bras sacrés, et nous appellent,
Quand nos frais écoliers, ivres de rage, épellent
Quatrevingt-douze, afin d'apprendre quel éclair
Jaillit du coeur de Hoche et du front de Kléber,
Et de quelle façon, dans ce siècle où nous sommes,
On fait la guerre aux rois d'où sort la paix des hommes!
Non, remparts, non, clochers superbes, non jamais
Je n'oublierai Strasbourg et je n'oublierai Metz.
L'horrible aigle des nuits nous étreint dans ses serres,
Villes! nous ne pouvons, nous français, nous vos frères,
Nous qui vivons par vous, nous par qui vous vivez,
Etre que par Strasbourg et par Metz délivrés!
Toute autre délivrance est un leurre; et la honte,
Tache qui croît sans cesse, ombre qui toujours monte,
Reste au front rougissant de notre histoire en deuil,
Peuple, et nous avons tous un pied dans le cercueil,
Et pas une cité n'est entière, et j'estime
Que Verdun est aux fers, que Belfort est victime,
Et que Paris se traîne, humble, amoindri, plaintif,
Tant que Strasbourg est pris et que Metz est captif.
Rien ne nous fait le coeur plus rude et plus sauvage
Que de voir cette voûte infâme, l'esclavage,
S'étendre et remplacer au-dessus de nos yeux
Le soleil, les oiseaux chantants, les vastes cieux!
Non, je ne suis pas libre. O tremblements de terre!
J'entrevois sur ma tête un nuage, un cratère,