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XIII Le bien germe parfois


Le bien germe parfois dans les ronces du mal.
Souvent, dans l'éden bleu de l'étrange idéal,
Que, frissonnant, sentant à peine que j'existe,
J'aperçois à travers mon humanité triste,
Comme par les barreaux d'un blême cabanon,
Je vois éclore, au fond d'une lueur sans nom,
De monstrueuses fleurs et d'effrayantes roses:

Je sens que par devoir j'écris toutes ces choses
Qui semblent, sur le fauve et tremblant parchemin,
Naître sinistrement de l'ombre de ma main.
Est-ce que par hasard, grande haleine insensée
Des prophètes, c'est toi qui troubles ma pensée?
Où donc m'entraîne-t-on dans ce nocturne azur?
Est-ce un ciel que je vois? Est-ce le rêve obscur
Dont j'aperçois la porte ouverte toute grande?
Est-ce que j'obéis? est-ce que je commande?
Ténèbres, suis-je en fuite? est-ce moi qui poursuis?
Tout croule; je ne sais par moments si je suis
Le cavalier terrible ou le cheval farouche;
J'ai le sceptre à la main et le mors dans la bouche;
Ouvrez-vous que je passe, abîmes, gouffre bleu,
Gouffre noir! Tais-toi, foudre! Où me mènes-tu, Dieu?
Je suis la volonté, mais je suis le délire.
O vol dans l'infini! J'ai beau par instants dire
Comme Jésus criant Lamma Sabacthani
Le chemin est-il long encore? est ce fini,