Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XIII.djvu/215

Cette page n’a pas encore été corrigée

VII LE PORCHE DE SAINT-LUC


Le porche de Saint-Luc, sur un vieux fût de pierre
S’appuie, et porche et fût ne sont plus qu’herbe et lierre.
Au noir pilier s’adosse un homme singulier,
Plus grave et mieux assis au rebord du pilier
Qu’un archevêque en chaire ou qu’un juge en grand’chambre ;
Vieillard morne et hideux comme le mois Décembre
Et dont vous auriez peur, madame, je le crois,
Plus que d’un beau bandit rencontré, dans un bois.
On frémit d’un serpent moins que d’une chenille.
C’est un mendiant roux, vêtu d’une guenille,

Qui se confond, ridé, sordide et chevelu,
Avec la borne grise et le mur vermoulu.
Sur ce vieillard narquois vont pleuvant les monnaies.
Le pilier n’est que. lèpre et l’homme n’est que plaies.
Par Hercule ! on est prêt à jurer que ce vieux
Un beau matin — gèrma dans ce bloc chassieux,
Et, pareil au gui noir qui sur le chêne pousse,
Couvert de barbe àinsi que la pierre de mousse,
Sortit, comme une fleur qui s’ouvre aux papillons,
Des fentes dù granit avec tous ses haillons ;
Si bien que, maintenant,, grimaçant sur la rue,
Il est du vieux pilier la vivante verrue.

Homme étrange entre tous, qui vous ferait affront,
Qui, sans trop s’émouvoir, verrait votre beau front,
Vos longs cheveux, dorés comme les cheveux d’Eve,
Votre bouche qui rit, votre regard qui rêve,
Et leur préférerait — est-il sage ? est-il fou ? —
Le profil d’un vieux roi gravé sur un gros sou !

3 octobre 1842.