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XXVI Oh.! que l’homme n’est rien


Oh.! que l’homme n’est rien et que vous êtes tout,
Seigneur ! O Dieu vivant, toi seul restes debout
Dans la tranquillité des choses éternelles.
Le sombre aigle Infini, quand il ouvre ses ailes,
Plonge l’une en ton ombre et l’autre en ta clarté.
L’homme est Baal, Moloch, Arimane, Astarté ;
L’abjection habite avec la bête humaine.
Le néant, de la fange à la cendre nous mène.
Ame aveuglée, esprit éteint, coeur en lambeau,
L’homme est mort bien avant qu’il descende au tombeau ;
Toute corruption de son vivant le ronge,
L’avarice ; l’orgueil, la haine, le mensonge,
L’amour vénal, l’erreur folle, l’instinct bâtard ;
De sorte qu’on ne sait ce qui pourrit plus tard.

Fourmilière du mal, insectes de l’abîme,
Sur nos entassements de folie et de crime,
Sur nos monceaux d’horreurs, d’échafauds, de pavois,
Nous nous dressons pendant qu’énorme, tu nous vois.
Tu regardes nos cris, nos bruits, notre démence.
Le grand ciel est le bleu de ta prunelle immense.
De notre vie obscure usant les vils chaînons,
Sous cet oeil formidable et doux nous nous traînons ;
Nos splendeurs sont un-feu rampant dans l’herbe noire ;
Et dans ces sombres nuits qu’on nomme âges de gloire,
Temps d’Alcide, d’Hermès, d’Achille, d’Amadis,
Siècle de Périclès, siècle de« Léon dix,
Sur ces tas de fumier, les Athènes, les Romes,
Passent ces vers luisants qu’on appelle grands hommes.

19 août 1851.