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Bas sans trouver Iblis, haut sans voir Jéhovah ;
Dans le nombre, je suis Multitude ; dans l’être,
Borne. Je m’oppose, homme, à l’excès de connaître,
De chercher, de trouver, d’errer, d’aller au bout ;
Je suis Tous, l’ennemi mystérieux de Tout.
Je suis la loi d’arrêt, d’enceinte, de ceinture
Et d’horizon, qui sort de toute la nature ;
L’éther irrespirable et bleu sur la hauteur,
Dans le gouffre implacable et sourd, la pesanteur.
C’est moi qui dis : — Voici ta sphère. Attends. Arrête.
Tout être a sa frontière, homme ou pierre, ange ou bête,
Et doit, sans dilater sa forme d’aujourd’hui,
Subir le nœud des lois qui se croisent en lui.
Je me nomme Limite et je me nomme Centre.
Je garde tous les seuils de tous les mondes. Rentre.
Tout est par moi, saisi, pris, circonscrit, dompté.
Je me défie, ayant peur de l’extrémité,
De la folie un peu, beaucoup de la sagesse.
Je tiens l’enthousiasme et l’appétit en laisse ;
Pour qu’il aille au réel sans s’écarter du bien,
J’attelle au genre humain ce lion et ce chien ;
Et, comme je suis souffle et poids, nul ne m’évite,
Car tout, comme esprit, flotte, et, comme corps, gravite.

Et l’explication, je te l’ai dit, vivant,
C’est que je suis l’esprit matériel, le vent ;
Et je suis la matière impalpable, la force.
Je contrains toute sève à rester sous l’écorce ;
Et tout piège miroir par mon souffle est terni.
Contre l’enivrement du sinistre infini
Je garde les penseurs, ces pauvres mouches frêles.
Je tiens les pieds de ceux dont l’azur prend les ailes.
Je suis parfum, poison, bien, mal, silence, bruit.
Je suis en haut midi, je suis en bas minuit ;
Je vais, je viens ; je suis l’alternative sombre ;
Je suis l’heure qui fait sortir en frappant l’ombre,