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de saillies, de réparties ! comme ces dialogues courent naturellement et vivement ! Et quelle source bouillonnante d’invention comique ! Quel beau et franc rire gaulois ! Toute la scène première de cette seconde partie est un pur chef-d’œuvre.


Paul de Saint-Victor s’étend longuement dans le Moniteur universel sur le Livre dramatique : « C’est, dit-il, la rareté et la surprise du recueil », et il ajoute :

C’est du Théâtre en liberté que sortent les deux pièces publiées dans les Quatre vents de l’Esprit ; théâtre, qu’après Shakspeare, Victor Hugo pouvait seul refaire : moitié réel, moitié légendaire, azuré par le conte bleu et assombri par l’histoire humaine, coloré de rêverie et pénétré de nature ; passant de la demi-teinte du caprice à la lumière de l’observation ; laissant l’humour, la bizarrerie, le détail, toutes les arabesques de l’esprit, enguirlander son dialogue ; moins soucieux de l’action suivie que de l’étude des âmes et de l’art raffiné du style. Ce théâtre, les Deux Trouvailles de Gallus nous en donnent deux merveilleuses scènes avec Margarita et Esca : une comédie exquise couronnée par une fin grandiose, un drame en raccourci, du plus étrange et terrible effet.

Puis le critique analyse la pièce et il résume ainsi les conversations de Gallus :

Mêlez en pensée la verve de Rivarol à l’amertume de Chamfort, la folie de Marcutio à l’ironie de Candide, vous aurez une idée des conversations de Gallus ; mélange exquis de sarcasme et de fantaisie, d’imagination et de persiflage. Tout le rôle est à suivre, vers à vers, comme l’habit de bal de Buckingham était suivi, pas à pas, par les invités de la fête ; il grêle des perles, il pleut des bijoux.

Puis passant au drame et analysant le premier acte, Lison, Paul de Saint-Victor conclut :

Quelle féerie que le prologue enchanteur couleur du songe et couleur du temps. Une Ève de Watteau tentée par un Satan rococo ! Un merveilleux tableau décoré et machine par le plus grand des poètes. La musique même n’y manque pas, et ce sont ses vers.

Enfin le critique, après une longue analyse du second acte, la Marquise Zabeth, termine ainsi :

… Quel dénouement deux fois tragique, par la terreur et par l’imprévu !

Jusqu’à cette dernière scène, on a traversé la pièce comme une fête galante : une idylle de ballet, un enlèvement romanesque, des rires, des chansons, des babils de freluquets et de caméristes, des duos de prince et de chambellan étincelants d’épigrammes. Au milieu de ce petit monde brillant et futile, une femme, nerveuse sans doute, ennuyée, inquiétante par ses silences, mais qui, en somme, semblait faite à son métier de luxe et de joie ; puis, soudainement, une âme ulcérée qui s’ouvre, un noir ressentiment longuement, couvé qui fait explosion, l’hétaïre qui se démasque et découvre un visage exaspéré d’Euménide, le poison qui sort d’une bague et foudroie, une exécrable méprise éclatant sur la victime morte, dans un cri d’amour…

… Je ne sais rien, au théâtre, de plus déchirant et de plus poignant.


Le Constitutionnel.
Georges Ohnet.

Après avoir analysé toute la pièce, le critique conclut ainsi :

Telle est la fin saisissante de cette pièce vigoureuse et merveilleusement colorée. Elle montre l’amour comme le fond des choses humaines, et fait comprendre que, dans toute femme, fût-elle pure comme Nella, infâme comme Zabeth, le cœur est le souverain maître. Déjà le grand poète avait traité cette thèse avec une ampleur sans égale dans son beau drame de Marion de Lorme. Il y est revenu dans le Livre dramatique, avec cette richesse de forme et cette profondeur de pensée que lui seul possède.

Ces trois actes, la comédie et le drame, seraient bien intéressants, joués à la Comédie-Française. Mlle Croizette serait très belle dans la double incarnation de Lison et de Zabeth. M. Delaunay ferait un duc Gallus admirable d’élégance sardonique et de cynisme séduisant.