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décidait à détacher de Toute l’âme le drame, la comédie, la satire, l’épopée, et qu’il indiquait les Deux trouvailles de Gallus comme devant former le livre dramatique.


On a vu par cet historique quelle a été l’origine des Quatre vents de l’Esprit, comment et à quelle époque l’idée s’en est précisée ; on a suivi les phases que les quatre livres ont traversées avant de revêtir leur forme définitive. Il nous reste à parler des délais qui se sont écoulés entre l’achèvement de l’œuvre et sa publication.

Au moment où Victor Hugo partait à Guernesey pour Bruxelles, le 15 août 1870, les deux volumes des Quatre vents de l’Esprit étaient prêts à paraître ; en tout cas il les considérait comme achevés. Si depuis cette époque on compte onze pièces qui sont datées de 1871, 1874 et 1875, c’est qu’elles lui ont été dictées en partie par les événements. L’empire s’effondrait le 4 septembre ; le poète rentrait à Paris le 5 et s’y enfermait pendant toute la durée du siège, il ne pouvait songer aux travaux littéraires en cours.

Cependant, sollicité par la société du Rappel, il répondit aux propositions qui lui étaient faites, et le 16 octobre nous lisons dans ses carnets :

J’écris à Barbieux que j’accepte pour les Quatre vents de l’Esprit le remplacement de MM. Lacroix et Panis par la société du Rappel.

Barbieux était le gérant du journal fondé par les deux fils de Victor Hugo, Charles et François-Victor Hugo, Paul Meurice, Auguste Vacquerie et Ernest Lefèvre.

Dans le traité passé avec Lacroix pour l’Homme qui Rit, le 27 septembre 1868, Victor Hugo devait céder à son éditeur, Lacroix, un, deux ou trois volumes de théâtre ou de poésie à son choix, moyennant 40 000 francs par volume ; et, dans la pensée du poète, les Quatre vents de l’Esprit ne devaient, à cette époque, former qu’un volume. À la suite de sa querelle avec Lacroix, en avril 1869, il avait manifesté sa volonté de recouvrer sa liberté d’action[1]. Voilà pourquoi il avait accepté que la société du Rappel se substituât à Lacroix et Panis.

Mais les événements le conduisent à l’Assemblée nationale à Bordeaux en 1871. Son œuvre subit un temps d’arrêt. On n’a pas oublié sa démission de membre de l’Assemblée, son retour à Bruxelles, l’attaque nocturne contre sa maison sous prétexte qu’il s’était permis d’affirmer son droit de donner asile aux réfugiés politiques, puis sa seconde expulsion de Belgique, sa retraite dans le Luxembourg où il écrit pour les Quatre vents de l’Esprit deux pièces relatives à l’agression dont il a été l’objet à Bruxelles.

Victor Hugo rentre à Paris à l’automne. Mais, pendant ses six mois de séjour, sa vie est bien agitée. Il ne s’appartient pas. Il est dérangé par des amis et des visiteurs. À Guernesey seulement il retrouvera l’apaisement, il travaillera en toute sécurité et en toute tranquillité dans ce pays, berceau de ses chefs-d’œuvre, dans cette atmosphère, dans ce cadre qui convenaient à sa méditation solitaire. Il y fait une fugue. Là il jouit de toute sa sérénité. Il a ses manuscrits, il les classe, et il annonce sur la couverture d’Actes et Paroles qu’il publiera prochainement les Quatre vents de l’Esprit. Il le peut, puisque les volumes sont prêts et l’éditeur désigné.

La société du Rappel, en se substituant à Lacroix et Panis pour l’exploitation des Quatre vents de l’Esprit, avait dû rembourser les 40 000 francs versés à Victor Hugo par les éditeurs ; elle n’attendait

  1. Voir l’Homme qui Rit, Historique de cette édition, p. 589.