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Voilà tous les souffrants et tous les lamentables ;
Voilà les ramasseurs de miettes sous les tables ;
Voilà tous les abjects vaguement entrevus ;
Voilà Scapin, voilà Sancho, voilà Davus ;
La chimère se mêle au réel qui l’attire ;
Le valet rit, surpris d’être aussi le satyre ;
Voilà les portefaix de tout le poids humain.
Ils regardent passer hier, aujourd’hui, demain,
Ce qui naît, ce qui meurt, ce qui va, ce qui sombre,
Ce qui flotte, attentifs on ne sait à quelle ombre.
Ils font de l’onde vaine un lugubre examen.
L’eau s’évade et poursuit son tortueux chemin
Par sa pente au hasard en liberté conduite,
Sous ces captifs penchés, tantales de la fuite.
Le reflet des eaux fait, sous l’âpre entablement,
De profil en profil errer un flamboiement,
Et la chauve-souris de l’aile les effleure.
Est-ce que cela raille ? Est-ce que cela pleure ?

Ô bouches où l’esprit qui passe, d’horreur plein,
Rêve Pantagruel et retrouve Ugolin !
Masque de Rabelais sur la face de Dante !
Progression d’angoisse et d’horreur ascendante !
Fronts où flambe l’enfer, comme la tombe froids !
Ô larves ! visions de l’invisible ! effrois !
Mascarade aperçue à travers le suaire !
Morne évocation du mage statuaire
Qui n’a que Michel-Ange ou Milton pour rival !
Sinistre mardi gras des spectres ! carnaval
De l’infini, flottant dans le souffle insondable !
Descente de Courtille énorme et formidable
Pétrifiée au mur du songe et de la nuit !
Est-ce que l’ouragan qui frissonne et qui fuit
Ne va pas emporter cette fresque de pierre ?
Dieu ! qu’est-ce que l’église et le trône ont pu faire
À ce peuple sans nom, sans lumière, sans voix,
Sans espoir, qui sanglote et ricane à la fois