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V


Je songe, ô vérité, de toi seule ébloui !
Ai-je des ennemis ? j’en ignore le nombre.
Tous les chers souvenirs, tout s’est évanoui.
Je sens monter en moi le vaste oubli de l’ombre.

Je ne sais même plus le nom de ceux qui m’ont
Fait mordre, moi rêveur, par le mensonge infâme.
J’aperçois les blancheurs de la cime du mont,
Et le bout de ton aile est déjà bleu, mon âme !

En dehors du combat pour la cause de tous,
Si j’ai frappé quelqu’un pour me venger moi-même,
Si j’ai laissé pleurant quelque être fier et doux,
Si j’ai dit : Haïssez, à ceux qui disaient : J’aime ;

Dieu ! si j’ai fait saigner des cœurs dans le passé,
Que votre grande voix me courbe et m’avertisse !
Je demande pardon à ceux que j’offensai,
Voulant traîner ma peine et non mon injustice.

Je marche, à travers l’ombre et les torts expiés,
Dans la vie, aujourd’hui sans fleurs et jadis verte,
Morne plaine où déjà s’allongent à mes pieds
Les immenses rayons de la tombe entr’ouverte.


13 septembre 1854.