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Tout est dit. L’eau s’enfuit. Est-il coupable ? Non.
Est-ce que l’océan dans son sourd cabanon
Peut saisir un pauvre homme et l’étouffer sous l’onde,
Seigneur, sans déranger l’équilibre du monde ?
Est-ce qu’il serait vrai que la nature osât
Frapper sur l’homme, ainsi qu’on bâtonne un forçat ?
L’eau cache-t-elle un piège en sa vague lyrique ?
Et que deviendrons-nous si la mer prévarique ?
Dieu la laisserait-il libre et folle en effet ?
Est-ce que l’ouragan ne sait pas ce qu’il fait ?
Ah ! si la goutte d’eau noie à tort un atome,
Est-ce qu’on ne va pas, au fond du divin dôme,
Voir trembler l’astre, et voir, dans la mer des rayons,
Pêle-mêle, sombrer les constellations ?
Quoi ! puni sans mal faire ! est-ce que c’est possible ?
Quoi ! d’un carquois sans yeux l’homme serait la cible ?
Est-ce qu’il se pourrait que le naufrage, ô Dieu,
La rafale, l’esquif coupé par le milieu,
Le cadavre roulé sous les houles funèbres,
Fût un tâtonnement sinistre des ténèbres,
Ces aveugles d’en haut qui frappent à côté ?
Est-ce qu’il se pourrait que cette obscurité
Fît devant l’infini des actions infâmes ?
Dieu, ces gens ont des fils, des mères et des femmes ;
Ce matin, ces pêcheurs, dans l’île où nous tremblons,
Faisaient sur leurs genoux sauter des enfants blonds ;
Pourquoi permettre aux eaux, à l’air, aux rocs, aux lames,
De prendre en leurs poings noirs toutes ces pauvres âmes ?
Pourquoi tiens-tu captifs, Seigneur, tous ces vivants
Dans l’orageux réseau des vagues et des vents ?
Pourquoi ces flots suspects font-ils ce bruit de chaînes ?
Pourquoi tous ces marins, bons cœurs, sans fiel, sans haines,
Emportés par la mort, pris par l’abîme amer,
Liés dans l’ombre au fond des cachots de la mer ?
Qu’ont-ils fait ? et pourquoi les frapper sans relâche ?
Pourquoi tous ces éclairs que sur eux ta main lâche ?
Je ne m’explique pas ces souffles rugissants,