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XXVI

REMONTRANCES.


Une nuit qu’au milieu des bourrasques farouches,
Et de tous les effrois ouvrant toutes leurs bouches,
Ma vitre en pleurs tremblait au choc du vent profond,
Éveillé, je songeais :

Éveillé, je songeais : ― Hélas ! qu’est-ce que font
Toutes ces sombres eaux qui hurlent dans l’espace ?
Oh ! ce pauvre bateau qui dans cette ombre passe !
Ô mon Dieu ! comme il lutte, et se débat, et fuit,
Pris dans cette prison d’épouvante et de bruit !
Quels geôliers que les flots quand ils tiennent les hommes !
Pour un peu de pain noir, ou pour de grosses sommes,
La barque affronte l’onde et l’air plein de sanglots
Et la brume, et je plains les pâles matelots.
Ô gouffre ! apocalypse ! effrayante épopée !
La mer a par moments l’air de s’être échappée.
Un cri farouche sort des vagues, ces tourments.
Il faudrait frissonner devant les éléments
Si l’écume, l’écueil, l’onde, l’aquilon sombre,
Pouvaient parfois briser l’anneau noir qui dans l’ombre
Les rive à l’équité, mystérieux pilier.
Est-ce que tout ceci serait irrégulier ?
Est-ce que, par hasard, un flot passerait l’autre ?
Serait-ce un insensé que le vent qui se vautre
Dans la nuée, et crie aux vagues d’accourir ?
Quoi ! ce bon vieux pêcheur part ce soir pour nourrir
Sa famille qui souffre et dont la faim le navre,
Et voilà, dès qu’il est sorti de l’humble havre,
Que l’orage et la nuit le jugent sans appel !
Sous ses pieds, les brisants, invisible archipel,
L’accusent ; sur son front l’ouragan le discute ;
Et ce bourreau masqué, l’abîme, l’exécute !