Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pendant qu’en ses poings noirs la fatigue secoue
Les membres frissonnants de ces pauvres petits.

« Ceux-ci, sur les vaincus jetant un œil farouche,
Disent : — Percez, frappez, tuez jusqu’au dernier ! —
Les chiens de Montfaucon viennent lécher leur bouche,
Tant leurs discours sont pleins de l’odeur du charnier.

« Ceux-ci dressent sur l’ombre une épée enflammée ;
Ceux-ci sur les blés d’or et les villes en feu
Font vomir les canons hideux, dont la fumée
Se mêle, haillon noir, aux nuages de Dieu.

« Ceux-ci veulent glacer et brûler tout ensemble,
Et, tourmenteurs qu’on voit dans la nuit se pencher,
Soufflent en même temps sur la raison qui tremble
Et sur la vieille torche horrible du bûcher.

« Ceux-ci sont les heureux que tous les rayons dorent,
Et que les lâchetés servent à deux genoux ;
Regardez la beauté sans âme qu’ils adorent ;
Elle est Vénus pour eux et squelette pour nous.

« Ceux-là sont les bourreaux que l’ombre a sous son aile ;
L’espérance agonise et s’éteint devant eux ;
Avec la corde sainte où pend l’ancre éternelle
Ils font le nœud coulant du gibet monstrueux.

« Cette langue est serpent, cette idée est tigresse ;
Ce juif contre un doublon pèse une âme en sa main ;
Ceux-ci, fouettant le nègre et fouettant la négresse,
Lâchent les chiens hurlants sur le bétail humain ;

« Ils mettent l’affreux bât de la bête de somme
À des esprits, comme eux pensant, comme eux vivant.
La chair humaine saigne entre les mains de l’homme ;
Le sauvage la mange et le chrétien la vend.