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Ne veulent, dédaigneux, mordre que les colosses ! —
Jaloux, je regardais sous les cieux constellés
À tous les grands poteaux ces grands dos flagellés,
Et tous ces fiers saignants, traînés dans nos discordes,
Les yeux pleins de rayons, les bras liés de cordes,
Montant ou descendant les marches de la nuit.
Ô crachats au visage ! affronts ! brume où l’on fuit !
Grand devoir accompli dont le vertige attire !
Proscription ! misère ! ostracisme ! martyre !
Atome, j’enviais ces pourpres des géants.
Mais nous, pensais-je, hélas ! perdus dans nos néants,
Nous passons, dévorant quelque inutile joie ;
Nous sommes trop petits pour que l’éclair nous voie ;
Nous, les vivants obscurs, nous ne méritons pas
Que de notre côté Némésis fasse un pas ;
Syène ne reçoit que Juvénal ; Minturnes
N’ouvre qu’aux Marius ses ombres taciturnes ;
Dieu nous créa, chétifs, pour le bonheur d’en bas ;
Nous ne sommes pas faits pour les vastes combats,
Et, comme ces proscrits aux têtes étoilées,
Pour les rêves profonds près des mers désolées.
L’atome n’a pas droit aux grands écrasements ;
Il n’a pas droit aux cris de la haine, aux tourments
De la claie âpre et sainte, aux faces hérissées
De serpents poursuivant sans trêve ses pensées,
Non. — Je baissais la tête et j’étais triste ainsi. —
Maintenant, ô destin, ô Méduse, merci.


17 mars 1855.