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XLII

DIEU ÉCLABOUSSÉ PAR ZOÏLE.


 
Ah çà, si nous disions un peu son fait à Dieu ?

Son œuvre n’a ni fin, ni tête, ni milieu.
L’imagination de ce faiseur s’épuise.
Sa meule tourne usant ce qu’on dit qu’elle aiguise.
Il se répète ; il est au bout de son rouleau.
Quoi de plus vain que l’air ! quoi de plus plat que l’eau !
L’hiver est blanc et vieux ; l’aurore est vieille et rose ;
On croit qu’il renouvelle, il fait la même chose ;
Toujours la même forme en ses œuvres s’épand ;
L’arbre est un hérisson, le fleuve est un serpent ;
La lune jaune accuse, en copiant l’orange,
Une stérilité d’invention étrange ;
C’est morne. Essayez donc de le tirer un peu
De son flot toujours vert, de son ciel toujours bleu !
La face du liard au revers est pareille ;
Le narcisse est un œil, l’épilobe, une oreille.
Ce monde est un immense opéra rococo,
Doré par le reflet et rhythmé par l’écho ;
Un ange endiablerait dans sa philosophie
D’écouter le plain-chant que la forêt solfie ;
Le Léman n’en dit pas plus long que l’Érié ;
Depuis des milliers d’ans, Dieu n’a point varié
La gamme du bouvreuil, du geai, de la linotte ;
Son vieux fou d’ouragan n’a qu’une seule note ;
Sa musique est toujours comme au temps d’Agénor ;
En vain le rossignol, infortuné ténor,
Dans l’espoir de changer sa vieille cavatine,
Interroge et poursuit d’un regard qui s’obstine
Ce triste Dieu caché dans le trou du souffleur.
Mai porte à son chapeau toujours la même fleur.