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M. Victor Hugo, en publiait un lui-même, d’une conception plus hardie encore, dans sa forme primitive et rudimentaire. Le Pape ne se compose que de deux scènes : le Sommeil et le Réveil la première comprend cent soixante pages, dont environ soixante-dix pages blanches, savamment disposées de façon à donner à cette plaquette l’apparence d’un volume, et la seconde, les deux tiers d’un vers.

... C’est le procédé naïf de Victorine, ou la nuit porte conseil. Mais le mélodrame que M. Victor Hugo introduit dans ce cadre enfantin n’a rien de commun avec celui de Dumerson ni par le style, ni par les détails, ni par le dénouement non plus, car la nuit ne porte pas conseil au Pape : nous n’avions nul besoin du dernier vers pour le savoir. M. Victor Hugo ne se fait aucune illusion : il a voulu donner un avertissement solennel, tout flamboyant d’antithèses et de métaphores gigantesques, à celui que le conclave a eu la déplorable faiblesse de lui préférer. Il se dresse en face de lui, comme jadis en face de Dieu :

Et maintenant. Seigneur, expliquons-nous tous deux,

et il répond à l’encyclique pontificale par son encyclique à lui, mais sans se dissimuler, le doux et grand poète, que l’aveuglement du Pape le condamne à fermer obstinément l’oreille à sa parole infaillible.

Dans son rêve, ce pape idéal, à qui M. Victor Hugo fait dire et faire tout ce que , suivant lui, il devrait faire et dire, et tout le contraire de ce qu’il fait et dit, oppose le Christ à l’Eglise, et parle aux prêtres le langage du XIXe siècle. C’est un Pape panthéiste et socialiste.

... Parfois, le lecteur qui n’aurait pas remarqué l’hémistiche du début ou qui l’aurait oublié pourrait se méprendre et croire que M. Victor Hugo est devenu clérical. En lisant telle pièce du Pape, j’étais tenté de croire que le poète avait choisi ce cadre commode comme un moyen d’utiliser des morceaux anciens qui juraient avec ses opinions actuelles, et que sans ce stratagème il risquait de perdre.

Le talent de M. Victor Hugo ne peut jamais subir une éclipse complète, mais dans son œuvre on citerait peu de volumes où le rayon se soit moins dégagé du nuage, où l’idée s’exprime d’une façon plus obscure, plus pénible, plus excessive et plus monotone. On y pourrait assurément noter de grands vers qui enlèvent tout à coup le lecteur comme d’un puissant coup d’aile ; mais combien n’en relèverait-on pas aussi de cacophoniques et de ridicules ! Sans descendre à ces détails, bornons-nous à dire que Le Pape, en son ensemble, est un livre avorté et qu’on peut le considérer, dans le genre solennel, comme un pendant aux Chansons des rues et des bois dans le genre idyllique et badin.

Le Tintamarre.

Jules JOUY.

(12 mai 1878.)

En publiant son nouveau volume de vers : le Pape, Victor H 130 vient de porter au trône pontifical un coup de pioche dont il restera boiteux jusqu’à l’écroulement total.

Le dernier vers du nouveau chef-d’œuvre du maître constitue, avec le «Qu’il mourût» de Pierre Corneille, un de ces coups de foudre qui retentissent éternellement dans une littérature. Ce pape, faisant suivre les paroles de Dieu : «Fils, sois béni !» de ces mots : «Quel rêve affreux je viens de faire !» est une gigantesque trouvaille.

Ce «représentant de Dieu sur la terre», traitant de «rêve affreux» l’épopée sublime faite de pauvreté et d’amour dont le sommeil le fait pour une nuit l’admirable acteur, creuse définitivement l’abîme qui sépare la doctrine du Christ de ceux qui s’en disent les ministres alors qu’ils n’en sont que les falsificateurs.

L’univers a désormais profondément gravée dans le cerveau l’image saisissante de deux pontifes bien distincts. D’un côté, le pape de Joseph de Maistre, prêtre vêtu d’or, trônant sur un siège de pierres précieuses, étreignant d’un poing nerveux l’éteignoir de toute révolution, constituant, avec le roi, l’un des anneaux de la chaîne qui pèse au jarret des hommes ; de l’autre, le pape de Victor Hugo, prêtre vêtu de bure, allant, pieds nus, prêcher, la croix en main, contre l’obscur attirail de torture du progrès, tâchant de mettre en pratique le grand précepte : «Aimez-vous les uns les autres», essence même du christianisme primitif.

Nous le répétons, le Pape de Victor Hugo est une arme terrible mise au service de la libre pensée et dont l’obscurantisme est incurablement blessé.