Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.
60
LE PAPE.
LE PAPE

O deuil ! Qu’importe ! Ainsi vous touchez au trépas,
Vous touchez à la hache, à la tombe, au peut-être !
Ainsi vous maniez la mort sans la connaître !
Vous êtes des méchants et des infortunés.
Dieu s’est réservé l’homme et vous le lui prenez.
Vous n’avez pas construit et vous osez détruire !
Ô vivants ! vous n’avez d’autre droit que de dire
À cet homme qui seul sait ce qu’a fait son bras :
Es-tu coupable ? vis, sachant que tu mourras.
Ô vivants, le ciel sent on ne sait quelle honte
Quand, vous regardant faire en votre ombre, il confronte
Le crime et l’échafaud, l’un de l’autre indignés.
Vous saignez du côté du crime, et vous saignez
Du côté de la loi, croyant faire équilibre
Au meurtrier fatal par le meurtrier libre,
Donnant pour contrepoids au bandit le bourreau.
Vous tirez, vous aussi, le trépas du fourreau !
Vous allez et venez dans l’obscur phénomène !
Dieu fait la mort divine et vous la mort humaine !
Sombre usurpation dont frémit le penseur.
Dieu vit ; de l’infini vous percez l’épaisseur,
Peuple, et vous lui changez son coupable en victime.
Un homme monstre est là ; vous l’imitez. Un crime
Est-il une raison d’un autre crime, hélas ?
Faut-il, tristes vivants qui devez être las,
L’homme ayant fait le mal, que la loi continue ?
De quel droit mettez-vous une âme toute nue,
Et faites-vous subir à cette nudité
L’effrayant face-à-face avec l’éternité ?
Ce dépouillement brusque est interdit au juge.
De quel droit changez-vous en écueil le refuge ?
L’homme est aveugle et Dieu par la main le conduit ;
Dieu nous a mis à tous sur la face la nuit ;
Il ne nous a point faits transparents ; il nous couvre
D’un suaire de chair et d’ombre qui s’entr’ouvre