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EN VOYANT UN PETIT ENFANT.

Son aube à nos vents noirs mêle son pur zéphyre.
Est-ce que sa clarté ne devrait pas suffire
Pour nous rendre cléments et pour dompter nos cœurs ?
Non, nous restons ingrats, amers, hautains, moqueurs,
Pleins d’orages, devant cette candeur sacrée.
L’âge d’or, l’heureux temps de Saturne et de Rhée,
Existe, c’est l’enfance ; il est sur terre encor ;
Et nos siècles de fer sur ce tendre âge d’or
N’en font pas moins leur bruit de glaives et de haines,
Et l’on entend partout le traînement des chaînes.

Vous êtes de la joie errante parmi nous,
Enfants ! riez, jouez, croissez. Vos fronts sont doux,
Et la faiblesse y met sa tremblante couronne ;
L’épanouissement d’avril vous environne ;
Sans vous le jour est morne et le matin se tait ;
Chantez. Quand le destin, comme s’il regrettait
De vous avoir dans l’ombre amenés, vous remmène,
Quand vous vous en allez avant l’épreuve humaine,
Votre âme monte aux cieux dans le parfum des fleurs.
Ô chers petits enfants, quand, fuyant nos douleurs,
Vous faites dans l’azur serein votre rentrée,
Quand un nouveau-né meurt, on dirait que, navrée,
La terre prend le deuil des jours qui vous sont dus ;
Et l’aurore est en pleurs quand vous êtes rendus
Par les roses vos sœurs à vos frères les anges.
Il est dans les linceuls une aile, et, dans les langes,
Il en est une aussi ; c’est la même. Ouvrez-la,
Doux amis, sans pourtant nous quitter, pour cela.
Restez, notre prison par vous devient un temple.
Rayonnez, innocents, et donnez-nous l’exemple.
Croyez, priez, aimez, chantez. Soyez sans fiel.
Qu’est-ce que l’âme humaine, ô profond Dieu du ciel,
A fait de la candeur dont elle était vêtue ?