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COLÈRE DE LA BÊTE.

Et Dasipodius, cet acarus d’Euclide.
Es-tu pour le fluide ? es-tu pour le solide ?
Tiens-tu pour l’idéal ? tiens-tu pour le réel ?
Acceptes-tu Moïse, Hermès ou Gabriel ?
À quel Dieu remets-tu ton âme ou ta machine ?
Est-ce au Brahma de l’Inde ? est-ce au Tien de la Chine ?
Es-tu pour Jupiter, pour Odin, pour Vichnou,
Pour Allah ? Laissez-moi tranquille. Je suis fou.
Je m’évade à jamais de la science ingrate.
Il est temps que, rentrant dans le vrai, je me gratte
L’échine aux bons cailloux du vieux globe éternel.
Je vois le bout vivant du funèbre tunnel,
Et j’y cours. J’aperçois, à travers les fumées,
Là-bas, ô Kant, un pré plein d’herbes embaumées,
Tout brillant de l’écrin de l’aube répandu,
De la sauge, du thym par l’abeille mordu,
Des pois, tous les parfums que le printemps préfère,
Où ce que la sagesse aurait de mieux à faire
Serait de se vautrer les quatre fers en l’air.
Or, étant libre enfin, et ne voyant, mon cher,
Ici, pas d’autre ânier que toi le philosophe,
Pouvant finir mon chant de bête brute en strophe,
Je m’en vais, comme Jean au désert s’en alla,
Et je retourne heureux, rapide, et plantant là
L’hypothèse béate et le calcul morose,
Et les bibles en vers et les traités en prose,
Locke et Job, les missels ainsi que les phédons,
De l’idéal aux fleurs, du réel aux chardons.