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L’ÂNE.

Adieu, sorbonnes, bancs, temples, autels, boutiques !
Adieu le grand dortoir des préjugés antiques
Côte à côte assoupis sur leurs brumeux chevets !
Scholastiques du vide, adieu ! — Kant, si j’avais
Le loisir d’aspirer à quelque académie,
Je ferais, de toute ombre et de toute momie,
De tous les vils sentiers suivis par les moutons,
De tous les œufs cassés, de tous les vieux bâtons
D’aveugles, grands, petits, inconnus et célèbres,
De tous les brouillards pris à toutes les ténèbres,
Et de tous les fumiers pris à tous les marais,
Une collection que j’intitulerais :
Exposé général de la science humaine.

L’âne, ayant un peu brait, termina :

L’âne, ayant un peu brait, termina : — Je m’emmène !
Ô Kant ! je redescends, avide d’ignorer !

J’étouffe ! oh ! respirer ! respirer ! respirer !
Mon œil est devenu trouble, nocturne et triste
Dans ces caves qu’emplit le jour séminariste.
J’ai des tiraillements d’estomac. Mais ce n’est
Ni des textes que prend Trigaud sous son bonnet,
Ni de tout ce chaos qu’un cuistre en sa mémoire
Fourre comme on emplit de loques une armoire,
Ce n’est point du fouillis, ce n’est point du fatras
Qui fit Siffret jadis si grand pour Carpentras,
Ce n’est point d’antiquaille et de pédagogie,
Ce n’est pas du savoir que dans sa docte orgie
Mange le jésuite ou le génovéfain,
C’est de vie et d’azur et d’aube que j’ai faim !
Je me sens sur la peau, de là ma pauvre mine,
Une démangeaison de savante vermine,
Grassi, de Galilée odieux puceron,
Garasse, ce moustique immonde de Charron,