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L’ÂNE.

Les énigmes du Tout lugubre et lumineux,
Et sentent, feuilletant vainement quelque bible,
Rouler sur leur néant l’immensité terrible.
Le zodiaque énorme, effrayant de clarté,
Éternel, tourne autour de ta brièveté.
Tu le vois, et tu dis, l’épiant de la terre :
— Qu’est-ce donc qu’il me veut, ce fauve sagittaire ?
Qu’ai-je fait au loin qu’il me regarde ainsi ? —
Et tu frémis. —

Et tu frémis Hélas ! rien n’est par toi saisi ;
Tu ne tiens pas le temps, tu ne tiens pas l’espace ;
Tous les faux biens, rêvés par ton instinct rapace,
S’en vont ; derrière tous la tombe, âpre fossé,
Se creuse ; et chacun d’eux, après t’avoir blessé,
Passe à travers les doigts de ton poignet tenace ;
La minute elle-même en fuyant te menace
Et, mouche au dard vibrant, se débat dans ta main.

L’aile d’un scarabée et l’odeur d’un jasmin,
Si tu veux en sonder le fond, sont des abîmes.

Derrière toute cime on trouve d’autres cimes.

La présence invisible et sensible de Dieu,
L’influence de l’ombre, à toute heure, en tout lieu,
Certaine, incorruptible, inexprimable, occulte,
Dérange ton calcul, ton optique, ton culte,
Ta morale, tes lois, ton doute, et par instant
Te pousse dans le rêve autour de toi flottant,
Et te fait osciller et perdre l’équilibre ;
Tu te sens garrotté tout aussi bien que libre ;
Comment dire : La vie est cela ; la vertu
Est cela ; le malheur est ceci ; — qu’en sais-tu ?
Où sont tes poids ? Comment peser des phénomènes
Dont les deux bouts s’en vont bien loin des mains humaines,
Perdus, l’un dans la nuit et l’autre dans le jour ?