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L’ÂNE.

Mais les laquais lettrés, les rhéteurs, les grands mots,
Se mettent à genoux devant ces saturnales ;
Suprême opprobre ! avec ces maximes banales :
— Que la guerre est un fait divin ; — qu’elle a ses lois ;
— Qu’il faut juger à part les actions des rois ; —
La phrase, cette altière et vile courtisane,
Dore le meurtre en grand, fourbit la pertuisane,
Protège les soudards contre le sens commun,
Persuade aux niais que tous sont faits pour un,
Prouve que la tuerie est glorieuse et bonne,
Déroute la logique et l’évidence, et donne
Un sauf-conduit au crime à travers la raison.

Toi l’homme, tu te mets vite au diapason ;
C’est toi qu’on trahit, toi qu’on fraude, toi qu’on livre ;
C’est ta chair qu’à César Shylock vend à la livre,
C’est ton sang dont Judas trafique, et c’est ta peau
Que Ganelon brocante, ô genre humain, troupeau !
Homme, la corde au cou le matin tu t’éveilles ;
Mais quoi ! par tes deux yeux et par mes deux oreilles,
C’est bien fait ! et, j’en prends à témoin le ciel bleu,
Les traîtres ont raison, car tu leur fais beau jeu.
Tes vices, tout d’abord, voilà les premiers traîtres ;
Ils te remettent pieds et poings liés aux maîtres ;
Au devant du joug vil, brutal, dur, inhumain,
Ta corruption fait les trois quarts du chemin ;
Doux au sergent de ville, aimable au garnisaire,
Lâche, entendant malice à ta propre misère,
Plat, tu clignes de l’œil même avec tes bourreaux.

Tu vas léchant la patte énorme des héros ;
Charles douze et Cortez t’enivrent ; tu te pâmes
Devant Cambyse errant dans les villes en flammes ;
Tu compares Cyrus et Clovis, mesurant
Ton admiration au sabre le plus grand ;
C’était aux bords du Var, ils étaient cinq cent mille,
Marius les tua ; que c’est beau ! Paul-Émile,