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L’ÂNE.

Les prêtres ténébreux de ce fatal système
Murmurent sur l’oiseau qui s’éveille : Anathème !
Malheur sur le matin ! scandale sur l’amour !
Babel a vu nicher ces hiboux dans sa tour ;
Ils sortent du talmud apportant dans leur griffe
Le dogme, le bandeau, le joug, l’hiéroglyphe ;
Ils sont le fanatisme, ils sont le préjugé ;
Durs, ils tiennent l’enfant dans les aïeux plongé ;
Hélas, ils font lever la nuit sur tous les faîtes ;
Jamais de novateurs, d’inventeurs, de prophètes ;
Jamais de conquérants, toujours des héritiers ;
Toujours les mêmes pas dans les mêmes sentiers ;
Le squelette lui-même entre leurs mains s’encroûte ;
Ils n’ont qu’un cri de marche : En arrière ! une route,
La routine ; un regard l’aveuglement ; un Dieu,
Le grand fantôme d’ombre au fond du cachot bleu ;
C’est peu de la statue, il leur faut la momie ;
Ils reboivent l’horrible antiquité vomie ;
Ces froids songeurs, penchés sur les âges défunts,
Ont les miasmes lourds des fosses pour parfums ;
Ce qui fut les enivre et qui vit les navre ;
Leur idéal a l’œil sinistre du cadavre ;
La nuit les aime ; ils sont ses blêmes envoyés.
Tous les rayonnements de l’avenir noyés
Dans le grandissement de l’ombre des ancêtres ;
Les fils des serfs rivés aux pieds des fils des maîtres ;
L’éternel échafaud sur l’enfer éternel ;
Autour d’Adam, chargé du crime originel,
Les vieux siècles hagards poussant des cris sauvages ;
La perpétuité de tous les esclavages ;
Pierre et César joignant leurs glaives effrayants ;
L’autodafé chauffant la tiédeur des croyants ;
Le moins d’enfants possible au seuil de la chaumière ;
Torquemada pour flamme et Malthus pour lumière ;
Il n’existe qu’un droit pour être, avoir été ;
Le cimetière luit, c’est la seule clarté,
Et la tradition est l’unique atmosphère ;