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L’ÂNE.

Dans la nature, gouffre étrange, âpre, obscurci ;
L’art était profond, noir, touffu ; le monde est pire ;
Vous ne traitez pas mieux Sabaoth que Shakspeare ;
Et votre pauvre esprit, essayant Jéhovah,
Gronde et ne trouve point que cet être lui va.
Pan vous déborde ; il est trop tendre, il est trop rude.
Votre philosophie est une vieille prude,
Votre bigoterie a ses pâles couleurs.
Vos encensoirs poussifs sont envieux des fleurs ;
À votre sens, ce monde, auguste apothéose,
Ce faste du prodige épars sur toute chose,
Ces dépenses d’un Dieu créant, semant, aimant,
Qui fait un moucheron avec un diamant,
Et qui n’attache une aile au ver qu’avec des boucles
De perles, de saphirs, d’onyx et d’escarboucles,
Ces fulgores ayant de la splendeur en eux,
Ces prodigalités de regards lumineux
Qui font du ciel lui-même une effrayante queue
De paon ouvrant ses yeux dans l’énormité bleue,
Au fond c’est de l’emphase, et rien n’est importun
Comme l’immensité de l’aube et du parfum
Et le couchant de pourpre et l’étoile et la rose
Pour vos religions atteintes de chlorose ;
Le grand hymen panique est fort dévergondé ;
Des sueurs du plaisir mai ruisselle inondé ;
Toute fleur en avril devient une cellule
Où la vie épousée et féconde pullule,
Et que protège à tort le ciel mystérieux ;
À vous en croire, vous les jugeurs sérieux,
Quand ils vont secouant de leurs crinières folles
Tant de rosée à tant d’amoureuses corolles,
Les chevaux du matin ont pris le mors aux dents ;
Et quand midi, le plus effréné des Jordaens,
Sur les mers, sur les monts, jusque dans votre œil triste,
Jette son flamboiement d’astre et de coloriste,
Rit, ouvre la lumière énorme à deux battants,
Et met l’olympe en feu, vous n’êtes pas contents ;