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L’ÂNE.

V

CONDUITE DE L’HOMME VIS-À-VIS DES ENFANTS.


Et l’âne s’écria : — Pauvres fous ! Dieu vous livre
L’enfant, du paradis des anges encore ivre ;
Vite, vous m’empoignez ce marmot radieux,
Ayant trop de clarté, trop d’oreilles, trop d’yeux,
Et vous me le fourrez dans un ténébreux cloître ;
On lui colle un gros livre au menton comme un goître ;
Et vingt noirs grimauds font dégringoler des cieux,
Ô douleur ! ce charmant petit esprit joyeux ;
On le tire, on le tord, on l’allonge, on le tanne,
Tantôt en uniforme, et tantôt en soutane ;
Un beau jour Trissotin l’examine, un préfet
Le couronne ; et c’est dit : un imbécile est fait.

Glycère et Jeanneton, ces deux filles célestes,
Qui courent dans Virgile et Ronsard, sont moins lestes,
Quand Sylvain les poursuit, le fauve jouvenceau,
À trousser leur jupon pour passer un ruisseau,
Un singe est moins agile à gober une pêche,
Les baleiniers, armant leurs pirogues de pêche,
Sont moins prompts à lancer leur barque au flot mouvant
Dès que d’un squale en marche ils entendent l’évent,
En frappant dans ses mains Bonaparte a moins vite
Chassé l’aigle tudesque et l’aigle moscovite
Qu’un pédant n’est rapide à défaire un esprit.
Oh ! que de fois, depuis qu’hélas ! on m’entreprit,
J’ai vu l’abrutisseur en chef, le grand pontife
Qui, lugubre, a le plus de crasse dans sa griffe,
Dans l’antre où se tenaient nos régents, nos dragons
Les plus chauves, les plus goutteux, les plus bougons,