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L’ÂNE.

Où l’étude et la nuit scellent leur triste hymen,
Depuis que l’homme écrit, que l’esprit se fourvoie,
Que la première plume a fui la première oie ;
Dans ce dock du grimoire universel, tunnel
Et puits du griffonnage antique et solennel,
Où l’erreur sur l’erreur s’amoncelle, où s’entasse
La savantasserie avec le savantasse,
Gouffre où sans voir l’ennui, ce miasme, on le sent,
Où s’est faite, de siècle en siècle grossissant,
Comme un ulcère croît, comme grandit un chancre,
L’horrible alluvion du déluge de l’encre,
Dans ce dépôt qu’emplit le froid morne des ifs,
Il faut les voir rangés, ces testaments massifs,
Ces volumes titans dont un fort de la halle
Aurait peine à porter la lourdeur idéale,
Ces tomes à stature écrasante, ulémas
Des lutrins monstrueux et des puissants formats ;
Ceux-ci bardés de cuir, ceux-là vêtus de moire,
Ils encombrent des temps la ténébreuse armoire ;
D’autres ouvrages sont éphémères, charnels,
Réels, mortels, humains ; eux sont les éternels ;
La cendre, qui du livre est l’austère rosée,
Leur arrive à travers les astres tamisée ;
Chacun d’eux est un fort, chacun d’eux est un mont,
Chacun d’eux est un culte ; eux des livres, fi donc !
Ils sont des avestas, ils sont des lévitiques,
Chacun d’eux est le Livre ; ils sont les hauts portiques
Et les larges piliers de la maison d’Isis ;
Ils sont les chênes noirs, vénérables, moisis,
De la Dodone obscure et lugubre des âmes ;
On en entend sortir des voix de vieilles femmes ;
Et l’ombre qui descend de leurs rameaux touffus
Va du Philothéos jusqu’au Polymorphus ;
Ils sont les dolmens lourds et branlants ; les registres
Pétrifiés du monde aveugle et fou des cuistres ;
Des espèces de blocs funèbres et bavards ;
Eux des livres, fi donc ! ils sont des boulevards ;