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L’ÂNE.

Les chercheurs, et qui font griffonner aux pédants
Tant d’affreux in-quarto, ruine du libraire,
L’ignorance hennir et la science braire.

Je viens de voir le blême édifice construit
Par l’homme et la chimère, avec l’ombre et le bruit,
La rumeur, la clameur, la surdité, la haine.
De quoi je sors ? Je sors de la besogne vaine ;
Je viens de travailler, Kant, à la vision.
J’ai vu faire à Zéro son évolution.
Sur la montagne informe où la brume séjourne,
Dans l’obscur aquilon la Tour des langues tourne
Sur quatre ailes : calcul, dogme, histoire, raison ;
Les savants, gerbe à gerbe, y portent leur moisson ;
Et, tombant, surgissant, passantes éternelles,
S’évitant, se cherchant, les quatre sombres ailes
Se poursuivent toujours sans s’atteindre jamais ;
Elles portent en bas la lueur des sommets,
Et rapportent en haut le gouffre, et la folie
Des souffles les tourmente et les hâte et les plie.
L’intérieur est plein d’on ne sait quel brouillard ;
Le râle du savoir s’y mêle au cri de l’art ;
Ô machine farouche ! on dirait que les meules
Sont vivantes, et vont et roulent toutes seules ;
Et l’on entend gémir l’esprit humain broyé ;
Tout l’édifice a l’air d’un monstre foudroyé ;
On voit là s’agiter, geindre, monter, descendre,
Ces pâles nourrisseurs qui font du pain de cendre,
Arius, Condillac, Locke, Érasme, Augustin ;
L’un verse là son Dieu, l’autre offre son destin ;
On s’appelle, on s’entr’aide, on s’insulte, on se hèle ;
On gravit, charge aux reins, la frémissante échelle ;
Sous les pas des douteurs on voit trembler des ponts
Où le prêtre jadis cloua ses vains crampons ;
L’erreur rôde, la foi chante, l’orgueil s’exalte,
Et l’on se presse, et point de trêve, et pas de halte ;
Le crépuscule filtre aux poutres du plafond