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L’ÂNE.

Entre une conscience et une autre conscience
Le fil est court ; Rancé coudoie Arnauld ; Arnauld
Janséniste confine à Luther huguenot ;
Et Luther huguenot touche à Rousseau déiste ;
Et Rousseau n’est pas loin de Spinosa ; c’est triste,
Ou c’est réjouissant, à ton choix ; mais c’est vrai ;
L’Horeb, ou Sans-Souci ; le Thabor, ou Cirey,
Entre Orphée et Pyrrhon l’humanité trébuche ;
Ô Kant, nous tomberions dans quelque obscure embûche,
Nous bêtes, s’il fallait que nous vous suivissions.
L’homme va du blasphème aux superstitions ;
Il brave le réel, puis il adore l’ombre ;
Il passe son poing vil à travers l’azur sombre,
Jette sa pierre infâme aux saintes régions,
Et croit réparer tout par ses religions,
Par un faux idéal taillé dans la matière,
Par on ne sait quel spectre imitant la lumière,
Par quelque idole vaine et folle qu’il met là,
Et qu’il nomme Zeus ou qu’il appelle Allah.
Il insulte le Dieu, le créateur, l’arbitre ;
Puis, inepte et tremblant, raccommode la vitre
Des infinis avec une étoile en papier.

J’ai lu, cherché, creusé, jusqu’à m’estropier.
Ma pauvre intelligence est à peu près dissoute.
Ô qui que vous soyez qui passez sur la route,
Fouaillez-moi, rossez-moi ; mais ne m’enseignez pas.
Gardez votre savoir sans but, dont je suis las,
Et ne m’en faites point tourner la manivelle.
Montez-moi sur le dos, mais non sur la cervelle.

Mon frère l’homme, il faut se faire une raison,
Nous sommes vous et nous dans la même prison ;
La porte en est massive et la voûte en est dure ;
Tu regardes parfois au trou de la serrure,
Et tu nommes cela Science ; mais tu n’as
Pas de clef pour ouvrir le fatal cadenas,