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RIEN.

Goutte d’eau, quand la mer s’ouvre, à quoi bon la lutte ?
Prends ce que ton destin a de clair, la minute,
Avril quand il sourit, la fleur quand elle éclôt.
Laisse au gouffre éternel rouler l’éternel flot.
Vis, meurs.

Vis, meurs. « Tu veux un Dieu, toi l’homme, afin d’en être.
Si tu veux l’infini, c’est pour y reparaître.
Quoi ! vivre avant la vie et vivre après la mort !
Traverser toute l’ombre immense avec ton sort !
Que ce cosmos, couvert du voile babélique,
De ton moi misérable à jamais se complique !
Que tout ce que régit l’inconcevable loi
Soit nécessairement un composé de toi !
Que tu n’en puisses point être absent ! que tu fasses,
Toujours vivant, le fond de toutes ces surfaces !
Que jamais l’être humain, rayé, clos, aboli,
Ne s’appelle trépas et ne se nomme oubli !
Quoi ! ce qu’a reçu l’homme, il ne doit pas le rendre !
Il est ; donc il sera ! Quoi, l’homme, cette cendre
Sur qui le vent de vie obscurément souffla,
Être quelqu’un ! Quel rêve absurde fais-tu là !
Ce monde est-il ? Qui sait ? N’est-il pas ? C’est possible.
Tout flotte. Le certain n’est pas dans le visible.
Mais toi, fourmi, ciron, grain de poussière, avoir
Une place quelconque en ce grand chaos noir !
Vain songe du néant dont ton orgueil est dupe !
Vas-tu croire qu’un Dieu — s’il existe — s’occupe
De toi, larve ! et qu’il veille et médite, agité
Par l’éphémère au fond de son éternité !

« Matière ou pur esprit, bloc sourd ou dieu sublime,
Le monde, quel qu’il soit, c’est ce qui dans l’abîme
N’a pas dû commencer et ne doit pas finir.
Quelle prétention as-tu d’appartenir
À l’unité suprême et d’en faire partie,
Toi, fuite ! toi monade en naissant engloutie,