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RELIGIONS ET RELIGION.

Crois-tu pas qu’épousant tes songes éphémères,
Elle accepte ton hydre ou ta licorne, ayant
Son tigre, son lion au regard flamboyant,
Et son hippopotame horrible, et qu’elle abdique
Son grand aigle des monts pour ton aigle héraldique ?
Ah ! pauvre homme inutile et fou sous le ciel bleu,
Tu ne peux faire un monstre et tu veux faire un Dieu !


*


Et puis quand tu l’auras, fort bien, que tu lui fasses
Deux sexes comme à Fô, comme à Janus deux faces,
Que tu l’ornes d’un tas de titres et de noms,
Le voilà sur ses pieds, c’est Dieu, nous le tenons,
Où le mettre ? En quel gouffre, homme ? ou dans quelle sphère ?
Perceras-tu, toi l’homme, un trou dans la lumière
Pour y loger ce Dieu que ton esprit forma
D’un peu de Jupiter et d’un peu de Brahma ?
Ce Zeus, cet Allah, ce Pan, que tu fabriques
Avec tes passions féroces et lubriques,
Comment le mettras-tu dans les astres ? Quel clou
Prendras-tu pour clouer au fond des cieux Vishnou ?
Fusses-tu secondé d’Alcée et de Terpandre,
Dis, comment feras-tu pour fixer, pour suspendre,
Et pour faire tenir Erigone aux seins nus,
Érynnis, Astarté, Bellone, la Vénus,
Ces buveuses de sang et ces prostituées,
Dans la façade énorme et pâle des nuées ?


*


Ah ! noir vivant, tu veux un Dieu ! Qu’en feras-tu ?
Auras-tu moins d’orgueil, homme, et plus de vertu ?
Embrasseras-tu l’homme ? aimeras-tu ton frère ?
Deviendras-tu flambeau ? briseras-tu la guerre,