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QUERELLES.

Et qui ne veulent pas que le vrai les délivre.
Reste dans une ornière et rampe dans un livre.

Mais es-tu d’aventure un penseur libre, errant
Du côté de la nuit qui semble transparent,
N’ayant pas pris d’avance un parti sur l’abîme,
N’imposant aucun dogme à la brume sublime,
Ne poursuivant dans l’air, dans l’onde et dans le feu
Aucune forme humaine ou terrestre de Dieu ;
Es-tu l’homme qui cherche et l’esprit qui s’envole ?
Alors il te faut mieux qu’un maître, qu’une école,
Et qu’un missel, fardeau du lutrin vermoulu.
Il te faut le concret et l’abstrait, l’absolu,
L’infini sans cadrans, sans horloges, sans montres,
Sans compas, sans boussole, et les grandes rencontres
De la nuit où l’on sent passer les inconnus ;
Il te faut les vents noirs, des profondeurs venus,
Qui dispersent dans l’ombre on ne sait quels messages.

Mais n’attends pas du gouffre où s’effacent les âges,
N’attends pas du grand Tout, farouche, illimité,
Où flotte l’invisible, où, dans l’obscurité,
L’aile des tourbillons heurte l’aile des aigles,
Une explication de Dieu selon les règles,
Ni que, pour contenter ton pauvre esprit courbé,
L’être va te prouver l’être par A plus B.
Si tu veux que l’ensemble étoilé te démontre
Un dogme, en débattant les raisons pour et contre,
Comme ferait Sanchez commentant Loyola,
La Nuit ne monte point dans cette chaire-là.
Ne confonds pas l’abîme avec un clerc ; distingue
Entre Oxford et la nuit, entre l’aube et Gœttingue.
Les théologiens, les universités,
Les lourds in-folio doctement feuilletés,
Sont une chose, et l’ombre immense en est une autre.
De quelle vérité le gouffre est-il l’apôtre ?
Tâche de le savoir ; mais n’en espère point