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LA PITIÉ SUPRÊME.

XI

Croyez-vous donc, songeurs qui vous apitoyez
Sur l’affreux mendiant des ravins non frayés,
Sur le larron des bois, demi-nu, maigre et blême,
Que ce bandit n’est pas un despote lui-même ?
Non. Il est le tyran sauvage de minuit ;
Il prend cette heure triste, avec elle il s’enfuit ;
Il est le conquérant du sentier solitaire ;
La forêt, qu’il viole en son sacré mystère,
Le regarde arriver comme Rome Attila.
Croyez-vous donc qu’il est sans flatteurs ? Non, il a
Sa faim qui lui dit : Prends ! sa soif qui lui dit : Tue !
La solitude, fauve et de branches vêtue,
Qui dit : Te voilà seul ! voleur ! te voilà roi !
Son lourd bâton ferré qui dit : Compte sur moi !
Il a ses muscles durs qui lui disent : Personne
Ne te vaut ; le passant en te voyant frissonne ;
Tu peux tuer un homme avec un coup de poing.
Il a sa haine au cœur qui dit : N’épargne point !
Et, troués et béants, ses vieux haillons farouches
Baisent son crime avec leurs misérables bouches,
Et, caressant sa main sanglante, et la léchant,
Lui parlent à voix basse et lui chantent ce chant :
— L’or est bon à piller, le sang est bon à boire ;
Cherche l’or, cherche l’or, ô conscience noire !
Vois comme ton esprit la nuit étinceler ;
Le meurtre ténébreux est fait pour s’étoiler
De sequins rayonnants, de doublons et de piastres ;
C’est aux abîmes noirs qu’appartiennent les astres.