Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
LA PITIÉ SUPRÊME.

Qu’est-ce qu’il avait fait, terre, astres, nuit profonde,
Ciel fatal, pour ne pas être un de ces élus !

Ou si décidément du jour il est exclus,
Si le destin lui tend quelque implacable embûche,
S’il faut que dans le crime et le mal il trébuche,
Eh bien ! rôder aux bois, tuer dans la forêt,
Mais non pas dans l’histoire où le sang reparaît,
N’avoir pas d’Isaïe acharné sur son ombre,
Être du moins l’objet d’un peu de pitié sombre,
S’appeler le bandit et non pas le tyran !

Quoi ! le cafre qui teint ses lèvres de safran,
Le huron manœuvrant sa pirogue d’écorce,
Vole, vous l’absolvez, penseurs ! Le brigand corse,
Fauve et traitant le droit comme un pays conquis,
Silhouette sinistre, erre dans les makis,
Vous murmurez : pardon ! Nul n’exige qu’un nègre
Ou qu’un malgache, étant stupide, soit intègre ;
On les plaint ; savent-ils ce que c’est que la loi ?
Et vous ne plaignez pas ce sultan ou ce roi,
Cet autre nègre orné d’autres verroteries !
Le zingaro qui vit en dehors des patries
Vous émeut ; le mougick à Cronstadt, le hammal
Au Fanar, vous plaidez pour eux s’ils font le mal ;
Le loup suit son instinct en ravageant l’étable.
Quoi ! vous allez chercher sur son banc lamentable
L’affreux galérien féroce et châtié,
Vous lui tâtez le crâne et vous criez : pitié !
Et vous ne sentez pas, dans ce vide où tout flotte,
Qu’un despote est un pauvre aussi bien qu’un ilote,
Que la pourpre n’est plus qu’un haillon dans la nuit,
Et qu’en cette ombre où l’homme est par l’instinct conduit,
Où le mensonge s’offre, où le vrai se refuse,
À l’ignorance égale il faut l’égale excuse !