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LA PITIÉ SUPRÊME.


La guerre l’étourdit de son vaste clairon.
Caïphe, ayant au cœur Satan, Dieu sur la langue,
Le déclare clément et bon, et le harangue ;
Tous les bruits qu’il entend font de la surdité ;
La terre entière semble en sa stupidité
Comploter lâchement l’égarement d’un homme ;
Sous le roi bête fauve on est bête de somme ;
Le monde tend l’échine au bât, la tête aux coups ;
Les Romes, les Paris, les Londres, les Moscous,
Bacon et sa raison, Virgile avec sa lyre,
Vont se rapetissant sous ce nain en délire ;
On lui hit un instinct d’hyène ; on le bâtit
Étroit comme pensée et grand comme appétit ;
Qu’il s’élève une voix pour accuser cet homme,
Vingt tribunaux abjects frémiront, ce qu’on nomme
Justice châtiera l’auguste vérité,
L’ombre fera jeter au cachot la clarté ;
Tous les bandeaux qu’un front peut porter, il les porte,
Les courtisans sont là qui veillent à sa porte,
Et les tâtent pour voir s’ils sont assez épais ;
Il est féroce, obscène, abominable, en paix ;
Il avait l’ignorance, on y joint la folie ;
Il vole, tue, écrase, extermine, spolie,
Dresse des échafauds, fait des parjures, ment,
Pille, égorge, détruit, brûle, naïvement ;
Son pouvoir est la grêle aveugle des déluges,
La trombe. — Et maintenant, allez aux voix, les juges !

Tacite, qu’en dis-tu ? Qu’en dis-tu, Juvénal ?
Dieu lui-même est pensif au fond du tribunal ;
Et le châtiment craint d’être injuste, et la foudre
Ne peut plus condamner et n’ose pas absoudre.