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LA PITIÉ SUPRÊME.

VII

J’ai vu l’Inde ; je plains le morne tchandâla ;
Un homme fraternel jamais ne lui parla ;
Sa soif ternit le fleuve ; et devant son martyre
La cabane se ferme et la main se retire ;
Il est le réprouvé de l’eau, du pain, du seuil ;
On dirait que le feu, l’air et la terre en deuil
Le chassent, que le champ le hait, que la matière
Le repousse et se tient hors de lui tout entière ;
Il est celui que nul n’abrite et ne reçoit.
Mais du moins, tel qu’il est, hélas ! et, quel qu’il soit,
Il voit le jour de tous et son âme lui reste ;
Et, quoiqu’on ait jeté sur sa tête funeste
La lèpre et son dégoût, la peste et son charbon,
Non, il n’est pas maudit, puisqu’il peut être bon.

Et maintenant voyez celui-ci. La justice
Resplendit ; non pour lui. Que l’erreur l’abrutisse !
Il est roi. Le progrès, lumineux et vivant,
Pour tout le genre humain éclôt, soleil levant ;
Lui ne le verra pas. Chacun peut dans sa course,
Boire à la vérité, la grande et chaste source ;
Lui seul, sombre altéré, n’en approchera point.
Le mot qu’on dit, le pas qu’on fait, le jour qui point,
N’existent pas pour lui ; son oreille est de pierre ;
Pas un rayon réel n’avertit sa paupière ;
Il semble que le sort n’ait pas d’autre intérêt
Que de le perdre ainsi qu’une horrible forêt ;
On lui crée, en dehors de tous les autres hommes,
L’impossibilité d’être ce que nous sommes ;
Sans guide en son désert, et n’ayant à choisir
Que du crime en cette ombre où rampe son désir,