Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
LA PITIÉ SUPRÊME.

Il s’ignore imbécile, il s’ignore méchant,
Tant dans la voie obscure, hélas, il va penchant !
Il vivra maintenant hors du vrai, dans un songe,
Ayant en lui, dans l’ombre où son rêve le plonge,
La chimère de plus, l’humanité de moins ;
Plein d’opprobres devant tous les peuples témoins,
Il est cynique, il est infâme, il est horrible ;
Il foule de l'azur la frontière impossible ;
Il se suppose au ciel, et l’enfer en lui croît ;
Il dit : Tout m’est permis, et seul j’existe. Il croit
Avoir sous ses talons de la poussière d’astres ;
S’il en tire un plaisir, qu’importe cent désastres !
Chaque jour il descend la honte d’un degré ;
Il délire ; il peut bien tourmenter à son gré
Le peuple, puisque Dieu tourmente la nuée ;
Il prend la vierge et fait une prostituée ;
Quoi ! n’est-il pas le roi, le maître, le seigneur ?
L’homme lui doit son sang, la femme son honneur ;
Quoi qu’il fasse, il contient le droit et le mystère ;
S’il lui plaît de manger de la fange, la terre,
Qui l’adorerait loup, l’adorera pourceau ;
Chaque vice à son tour met sur son front le sceau ;
Il fait de la puissance un effort inutile ;
Il a sous lui son siècle en travail qu’il mutile ;
Il tient le sceptre ainsi qu’un aveugle un bâton ;
De toutes les grandeurs redoutable avorton,
Être sans nom, qui, frêle et misérable en somme,
Fait de cendre et promis aux vers, n’est plus un homme,
Ayant un idéal immonde pour milieu,
Échoué dans le monstre à mi-chemin du dieu.