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Et que tout le décor n'est plus qu'une astragale,
On voit ces choses-là dans un feu de Bengale.
Et, pendant ces festins et ces jeux, on brûla,
Les russes, Silistrie, et les anglais, Kola.
Le moment vint ; l'escadre appareilla ; les roues
Tournèrent ; par ce tas de voiles et de proues,
Dont l'âpre artillerie en vingt salves gronda,
L'infini se laissa violer. L'armada,
Formidable, penchant, prête à cracher le soufre,
Les gueules des canons sur les gueules du gouffre,
Nageant, polype humain, sur l'abîme béant,
Et, comme un noir poisson dans un filet géant,
Prenant l'ouragan sombre en ses mille cordages,
S'ébranla ; dans ses flancs, les haches d'abordages,
Les sabres, les fusils, le lourd tromblon marin,
La fauve caronade aux ailerons d'airain
Se heurtaient ; et, jetant de l'écume aux étoiles,
Et roulant dans ses plis des tempêtes de toiles,
Frégate, aviso, brick, brûlot, trois-ponts, steamer,
Le troupeau monstrueux couvrit la vaste mer.
La flotte ainsi marchait en ordre de bataille.

Ô mouches ! il est temps que cet homme s'en aille.
Venez ! Souffle, ô vent noir des moustiques de feu !
Hurrah ! les inconnus, les punisseurs de Dieu,
L'obscure légion des hydres invisibles,
L'infiniment petit, rempli d'ailes horribles,
Accourut ; l'âpre essaim des moucherons, tenant
Dans un souffle, et qui fait trembler un continent,
L'atome, monde affreux peuplant l'ombre hagarde,
Que l'œil du microscope avec effroi regarde,
Vint, groupe insaisissable et vague où rien ne luit,
Et plana sur la flotte énorme dans la nuit.

Et les canons, hurlant contre l'homme, molosses
De la mort, les vaisseaux, titaniques colosses,