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XXX

à joseph, comte de s.



SOUVENIR D’ENFANCE.

Cuncta supercilio.
Horace.


 
Dans une grande fête, un jour, au Panthéon,
J’avais sept ans, je vis passer Napoléon.

Pour voir cette figure illustre et solennelle,
Je m’étais échappé de l’aile maternelle ;
Car il tenait déjà mon esprit inquiet.
Mais ma mère aux doux yeux, qui souvent s’effrayait
En m’entendant parler guerre, assauts et bataille,
Craignait pour moi la foule, à cause de ma taille.

Et ce qui me frappa, dans ma sainte terreur,
Quand au front du cortège apparut l’empereur,
Tandis que les enfants demandaient à leurs mères
Si c’est là ce héros dont on fait cent chimères,
Ce ne fut pas de voir tout ce peuple à grand bruit
Le suivre comme on suit un phare dans la nuit,
Et se montrer de loin sur sa tête suprême
Ce chapeau tout usé plus beau qu’un diadème,
Ni, pressés sur ses pas, dix vassaux couronnés
Regarder en tremblant ses pieds éperonnés,
Ni ses vieux grenadiers, se faisant violence,
Des cris universels s’enivrer en silence ;
Non, tandis qu’à genoux la ville tout en feu,
Joyeuse comme on est lorsqu’on n’a qu’un seul vœu,
Qu’on n’est qu’un même peuple et qu’ensemble on respire,
Chantait en chœur : Veillons au salut de l’empire !