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Où pend, triste lambeau, tout ce qu’avaient nos âmes
De chaste et de sacré !

À quoi bon, cependant ? à quoi bon tant de haine,
Et faire tant de mal, et prendre tant de peine,
Puisque la mort viendra !
Pour aller avec tous où tous doivent descendre !
Et pour n’être après tout qu’une ombre, un peu de cendre
Sur qui l’herbe croîtra !

À quoi bon s’épuiser en voluptés diverses ?
À quoi bon se bâtir des fortunes perverses
Avec les maux d’autrui ?
Tout s’écroule ; et, fruit vert qui pend à la ramée,
Demain ne mûrit pas pour la bouche affamée
Qui dévore aujourd’hui !

Ce que nous croyons être avec ce que nous sommes,
Beauté, richesse, honneurs, ce que rêvent les hommes,
Hélas ! et ce qu’ils font,
Pêle-mêle, à travers les champs ou les huées,
Comme s’est emporté par rapides nuées
Dans un oubli profond !

Et puis quelle éternelle et lugubre fatigue
De voir le peuple enflé monter jusqu’à sa digue,
Dans ces terribles jeux !
Sombre océan d’esprits dont l’eau n’est pas sondée,
Et qui vient faire autour de toute grande idée
Un murmure orageux !

Quel choc d’ambitions luttant le long des routes,
Toutes contre chacune et chacune avec toutes !
Quel tumulte ennemi !
Comme on raille d’un bas tout astre qui décline !… —
Oh ! ne regrette rien sur la haute colline
Où tu t’es endormi !