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On nous voyait tous deux, gaîté de la famille,
Le front épanoui, courir sous la charmille,
L’œil de joie enflammé… —
Hélas ! hélas ! quel deuil pour ma tête orpheline !
Tu vas donc désormais dormir sur la colline,
Mon pauvre bien-aimé !

Tu vas dormir là-haut sur la colline verte,
Qui, livrée à l’hiver, à tous les vents ouverte,
A le ciel pour plafond ;
Tu vas dormir, poussière, au fond d’un lit d’argile ;
Et moi je resterai parmi ceux de la ville
Qui parlent et qui vont !

Et moi je vais rester, souffrir, agir et vivre ;
Voir mon nom se grossir dans les bouches de cuivre
De la célébrité ;
Et cacher, comme à Sparte, en riant quand on entre,
Le renard envieux qui me ronge le ventre,
Sous ma robe abrité !

Je vais reprendre, hélas ! mon œuvre commencée,
Rendre ma barque frêle à l’onde courroucée,
Lutter contre le sort ;
Enviant souvent ceux qui dorment sans murmure,
Comme un doux nid couvé pour la saison future,
Sous l’aile de la mort !

J’ai d’austères plaisirs. Comme un prêtre à l’église,
Je rêve à l’art qui charme, à l’art qui civilise,
Qui change l’homme un peu,
Et qui, comme un semeur qui jette au loin sa graine,
En semant la nature à travers l’âme humaine,
Y fera germer Dieu !

Quand le peuple au théâtre écoute ma pensée,
J’y cours, et là, courbé vers la foule pressée,