Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/465

Cette page n’a pas encore été corrigée


XXVIII




A Mlle  Louise B.

Je vous l’ai déjà dit, notre incurable plaie,
Notre nuage noir qu’aucun vent ne balaie,
Notre plus lourd fardeau, notre pire douleur,
Ce qui met sur nos fronts la ride et la pâleur,
Ce qui fait flamboyer l’enfer sur nos murailles,
C’est l’âpre anxiété qui nous tient aux entrailles,
C’est la fatale angoisse et le trouble profond
Qui fait que notre cœur en abîmes se fond,
Quand un matin le sort, qui nous a dans sa serre,
Nous mettant face à face avec notre misère,
Nous jette brusquement, lui notre maître à tous,
Cette question sombre : — Ame, que croyez-vous ?
C’est l’hésitation redoutable et profonde
Qui prend, devant ce sphinx qu’on appelle le monde,
Notre esprit effrayé plus encor qu’ébloui,
Qui n’ose dire non et ne peut dire oui !

C’est là l’infirmité de toute notre race.
De quoi l’homme est-il sûr ? qui demeure ? qui passe ?
Quel est le chimérique et quel est le réel ?
Quand l’explication viendra-t-elle du ciel ?
D’où vient qu’en nos sentiers que le sophisme encombre
Nous trébuchons toujours ? d’où vient qu’esprits faits d’ombre,

Nous tremblons tous, la nuit, à l’heure où lentement
La brume monte au cœur ainsi qu’au firmament ?
Que l’aube même est sombre et cache un grand problème ?
Et que plus d’un penseur, ô misère suprême !