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VI



Oh ! vivons ! disent-ils dans leur enivrement.
Voyez la longue table et le festin charmant
Qui rayonne dans nos demeures !
Nous semons tous nos biens n’importe en quels sillons.
Riches, nous dépensons, nous perdons, nous pillons
Nos onces d’or ; jeunes, nos heures

Jette ta vielle Bible, ô jeune homme pieux !
Quitte église et collège, et viens chez nous ! ─ Joyeux,
Entourés de cent domestiques,
Buvant, chantant, riant, nous n’insultons pas Dieu,
Et nous lui permettons de montrer son ciel bleu
Par le cintre de nos portiques !

De quoi te servira ton labeur ennuyeux ?
Sais-tu ce que diront les belles aux doux yeux
Dont le sourire vaut un trône ?
— Ô jeune homme inutile ! ─ Et puis elles riront.
— Oh ! que de peine il prend pour donner à son front
La couleur de son livre jaune !

Nous, éblouis de feux, de concerts, de seins nus,
Nous vivons ! ─ Nous avons des bonheurs inconnus
A la foule avare et grossière,
Quand dans l’orchestre, où rien ne grandit qu’en tremblant,
La fanfare, tantôt montant, tantôt croulant,
S’enfle en onde ou vole en poussière !

L’homme à tout ce qu’il fait dans tous les temps mêla
La musique et les chants. ─ Amis c’est pour cela
Que la Guerre qui nous enivre,
Noble déesse à qui tout enfants nous songions,